Oui, les motards ont changé. Mais pour les rencontrer, le mieux, c'est toujours les concessions où ils viennent rêver sur leur future machine.
Eric, nommé pour l'occasion Médiateur de la conduite zérotracas en deux-roues, le sait bien. Eric est journaliste spécialisé. Voiture, un peu, et surtout moto. Essayeur, commentateur, animateur d'une émission consacrée à la mécanique, pilote d'enduro le week-end et d'une grosse BMW en semaine, il connaît par c¦ur les m¦urs de cette étrange tribu casquée.
Nous l'avons suivi à Nantes, l'une des 7 grandes villes qu'il a arpenté afin de prendre la température des motards et d'écouter leurs bonnes idées, celles qui peuvent améliorer leur sécurité.
État des lieux.
Nous voilà donc en zone périurbaine nantaise. Reléguées après les centres commerciaux et les grands constructeurs automobiles, les concessions moto sont à la limite de la zone bâtie. Pour autant, les motards d'aujourd'hui ne sont plus au banc de la société. Jusqu'aux années 80, la moto était un véhicule un peu rebelle. Moins chère qu'une voiture, beaucoup plus sale mais beaucoup plus libre, la moto était aussi le moyen de transport de la jeunesse populaire.
L'homme à la moto de Piaf et le blouson noir appartiennent au passé. Contrairement à la « racaille » d'avant, celle de maintenant ne rêvent plus de bécane. La moto d'aujourd'hui est un outil de travail et un instrument de plaisir, qu'on envisage à tout âge. Et les motards ont à c¦ur de ne pas mourir au guidon. Tant mieux.
Premiers contacts
En bon journaliste, notre médiateur observe le public de la concession japonaise où rutilent les chromes.
« Les motards restent des gens à part, qui privilégient le plaisir. Sauf à Paris, où la dimension utilitaire prend le pas et où la police est plus sévère : l'effet de nombre ». L'attention d'Eric, notre Médiateur se porte sur Denis, un quadra à l'allure sportive qui vient de passer son permis et accepte de répondre.
Le micro se tend et les questions fusent. « Il faut aller dans le concret » avait prévenu Eric. De fait, il dirige l'entretien autour de grands thèmes : les infrastructures, le stationnement, les équipements, le permis, le code de la route (et ses tolérances comme, par exemple, la remontée des files), l'assurance, la vitesse, le téléphone.
Denis considère que les équipements sont indispensables, que les motards doivent respecter les limitations de vitesse et qu'ils peuvent patienter plutôt que de doubler à tout prix. Vu l'accidentologie, il trouve aussi normaux les tarifs élevés des assurances et pense que les motards n'ont pas à téléphoner : trop dangereux. Un diagnostic bien raisonnable. Sans doute dû à l'âge de notre intervenant. « Pas du tout, commente Eric. Beaucoup pensent comme ça et je n'ai rencontré aucun vrai dingue. L'extrémisme est passé de mode ». Du moins en moto...
Confirmation avec Romain, jeune motard bardé de cuir qui roule en 600 « sportive » et reconnaît pourtant aimer la vitesse. Romain a constaté les efforts réalisés sur les ronds-points et le signalement des travaux, sources de nombreuses chutes. Mais il déplore le positionnement de certains radars « faits pour piéger les gens ». Sur l'équipement, Romain est catégorique et donne l'exemple : bottes, blouson coqué, casque haut de gamme et gants. « Dommage que ce soit si cher, déplore t-il. Mais la Fédération des motards en Colère se bat pour les prix.». « Une suggestion qui revient souvent,
commente notre Médiateur. Quant au téléphone, Romain est radicalement contre : « Les motards ne téléphonent pas, même en voiture. Au volant, ils restent des motards avec l'esprit motard... sauf les bikers qui ont une mentalité
différente. ».
Nous laissons Romain à ses querelles de clochers, tandis qu'Eric le Médiateur tempère les propos : « L'esprit motard, ça reste assez superficiel : on se dit bonjour, mais ça s'arrête là. ».
Parole de pilote.
Chez un autre concessionnaire, nous rencontrons Gérard, petite cinquantaine et détenteur du record de participation (25 !) aux 24 Heures Moto du Mans ! Mais ce pilote semi-pro est d'abord conducteur d'autobus pour la ville et roule au guidon d'une vieille Honda au quotidien. « Jamais de sportive hors circuit ; je serais trop tenté de me laisser aller. La réactivité de la poignée pousse à la vitesse. Dommage que les circuits ne soient pas plus ouverts pour que les pilotes amateurs puissent aller s'amuser avec leur machine. Ce serait mieux que sur la route». D'ailleurs Gérard trouve que les
motards roulent trop vite et regrette que les pilotes de 125 cm3, que l'on peut conduire avec le permis voiture, n'aient pas suivi de formation pratique. « Les 125, ça tient le marché : 50% des ventes, commente son pote qui tient la concession. Alors les pouvoirs public n'osent pas légiférer.
Mais certains revendeurs ont pris l'initiative : ils vendent des heures de conduite avec une moto neuve ». Ça ne résout pas totalement le problème, mais c'est un premier pas et une très bonne idée... Pourquoi pas une sorte de BSR (Brevet de Sécurité Routière pour les cyclos) adapté aux « 125 » ?
Gérard, notre pilote, revient sur les progrès des infrastructures, même s'il regrette la trop grande rareté des rails doublés. Quant à l'équipement (blouson, gants...), il devrait être obligatoire, comme le casque. Et le téléphone ? « Non, mais oui à l'équipement pour parler à son passager ».
D'autres motards nous livreront leur sentiment. Beaucoup attendent des places de stationnement sécurisées, quitte à ce qu'elles soient payantes. D'autres fustigent encore l'équivalence du permis voiture pour les 125. « Ce sont les motards les plus dangereux ! » dit l'un d'eux.
Sinon, tous les motards ont envie de vitesse. Mais la plupart d'entre eux s'autorégulent en fonction de l'environnement. « Certes ils prennent des libertés, précise le Médiateur mais ils ont conscience de la puissance et du danger.»
Les heures passent et les motards défilent. Chaque témoignage enregistré par Eric prend environ 5 minutes. Les plus intéressants seront montés pour être diffusés sur RMC en spot d'une minute.
Le bilan du Médiateur : responsables.
Du haut de ses dizaines de personnes interviewées, notre Médiateur, poursuit son bilan de l'état d'esprit des motards contemporains. « Ils ne sont pas forcément raisonnables, mais ils sont responsables ». Les motards refusent
massivement le téléphone, ont conscience de l'importance des limitations de vitesse, notamment en ville, et attendent un effort des assureurs pour proposer des tarifs mieux adaptés. Ils apprécient certaines infrastructures, mais demeurent mobilisés pour dénoncer les plus dangereuses, dont les emblématiques rails de sécurité coupe-tête et séparateurs de voies casse-gueule. Ils veulent plus de sécurité passive et des équipements moins chers grâce à une TVA à 5,5%.
Côté législation, les motards trouvent ridicule qu'on puisse, sans aucune formation, piloter une 125. D'autant que le permis A leur semble bien adapté pour se préparer à affronter la route sur deux-roues. Ils redoutent une loi sur la remontée de files de voitures à l'arrêt. « Elle ne pourrait être que négative, précise Eric. La tolérance des forces de l'ordre leur convient... S'il y avait une nouvelle loi interdisant fermement la remontée de files, les amendes pleuvraient. » C'est le cas dans les couloirs de bus, particulièrement à Paris.
Alors, ce motard des années 2000, il est comment ? « Il a vieilli, et ce n'est plus le méchant. D'ailleurs, il faut que la société reconsidère son regard sur les motards ».
Eric conclue : « J'ai rencontré des personnes posées, qui tiennent des propos réfléchis. Et je partage beaucoup de leur point de vue ».
Si le Médiateur est d'accord avec ceux qu'il rencontre, on ne peut que se réjouir.